Pourquoi réagissons-nous si souvent à l'envers ? Une réflexion sur nos réflexes collectifs.
- Melanie lelievre
- Mar 19
- 5 min read

Imaginez une vidéo virale sur les réseaux sociaux : une course de vélos bat son plein sur une piste réservée, et soudain, un piéton traversant sans regarder, coupant la trajectoire des cyclistes lancés à pleine vitesse. L'inévitable se produit – une collision. Qui est en délit ? Logiquement, le piéton, qui a ignoré les règles de base d'un espace dédié aux coureurs. Pourtant, dans les commentaires, une clameur s'élève : "C'est la faute du cycliste ! Il aurait dû freiner à temps !" Pas une autorité qui impose ce jugement, pas un leader qui orchestre – juste des dizaines, voire des centaines de personnes, spontanément unies dans une conclusion qui défie la raison. Que se passe-t-il dans nos têtes pour qu'on en arrive là ? Et si ce réflexe trahissait quelque chose de plus profond sur nous, sur notre façon de vivre en société, ou même au sein de nos familles ?
Le troupeau sans berger.
On pourrait croire que cette réaction absurde naît d'un effet de groupe, d'une soumission à un leader ou à une idée dominante. Mais ici, il n'y a pas de berger. Les gens ne lisent pas nécessairement les commentaires avant de taper leur indignation – ils réagissent d'instinct, chacun dans son coin, et convergent pourtant vers la même idée bancaire. Ce n'est pas une obéissance à une autorité, comme dans les études classiques sur la conformité, mais une sorte de spontanéité collective qui nous fait voir de travers.
Daniel Kahneman, psychologue et prix Nobel, propose une explication dans Thinking, Fast and Slow (2011). Il distingue deux modes de pensée : le "Système 1", rapide, intuitif, émotionnel, et le "Système 2", lent, analytique, rationnel. La plupart du temps, nous restons en Système 1 – c'est plus simple, plus immédiat. Dans le cas du piéton, voir un cycliste percuter quelqu'un déclenché une réaction instantanée (pitié, frustration), et le cerveau s'arrête là : "Le vélo est dangereux !" Passer en Système 2 – se demander "Qui a envahi l'espace de l'autre ?" – exige un effort que peu font spontanément.
Une intelligence endormie ?
Ce réflexe soulève une question : et si l'intelligence humaine, qu'on vante tant, n'était pas aussi éveillée qu'on le pense ? Pas en termes de QI brut, mais dans notre capacité à dépasser nos impulsions initiales. Une étude de 2016 dans Trends in Cognitive Sciences (Pennycook et al.) montre que ceux qui résistent aux biais cognitifs – comme accuser le cycliste par réflexe – ont une « disposition à la réflexion » plus développée. Ils prennent le temps de douter, de questionner. La majorité, elle, convient à la première impression : une scène choc, une émotion forte. Le piéton devient victime, le cycliste agresseur, sans qu'on creuse davantage.
Ça ne signifie pas que nous sommes incapables de raisonner – juste que nous ne le faisons pas toujours. Et quand des dizaines de personnes réagissent pareil sans se concerter, ça révèle une faute qui n'a pas besoin d'un chef pour dérailler : le troupeau avance seul, porté par ses instincts.
Des pyramides partout.
Ce phénomène ne se cantonne pas aux réseaux sociaux. Observez les systèmes autour de nous : capitalistes, communistes, ou mêmes familles, ils finissent souvent en pyramides. Dans une société capitaliste, une élite prospère domine une base qui trime. Dans un modèle communiste, l’État accapare le pouvoir et les ressources, laissant une égalité de façade. Pourquoi ? Peut-être parce que l'humain, en général, cherche un "supérieur" – quelqu'un ou quelque chose pour guider, décider, organiser. Une étude de 2018 dans Nature Human Behaviour (Gray et al.) montre que les hiérarchies émergent naturellement dans les groupes humains, même sans intention claire, car nous cédons facilement notre autonomie.
Et dans les familles ? On retrouve des traces de cette dynamique. Parfois, ce n'est pas l'argent ou le pouvoir brut qui domine, mais une entreprise plus subtile – un « inceste psychologique ». Pas au sens littéral, mais dans des relations où les frontières s'effacent : un parent qui contrôle, manipule ou impose, et un enfant qui apprend à suivre plutôt qu'à s'opposer. Ces schémas se répercutent ensuite hors du foyer, dans nos jobs, nos liens, nos sociétés. Le troupeau naît tôt.
Pourquoi c'est pire sans autorité ?
Revenons à la piste cyclable. Si une figure d'autorité avait crié "Blâmez le cycliste", on pourrait parler d'obéissance aveugle – comme dans l'expérience de Milgram, où des sujets infligeaient des chocs sous ordre. Mais ici, personne ne commande. La réaction est spontanée, individuelle, et pourtant irrationnelle. Ça suggère que notre "déraillement", comme on pourrait l'appeler en plaisantant, n'a pas besoin d'un chef pour s'exprimer. Il est déjà là, tapi dans nos réflexes, prêt à surgir devant une vidéo de 10 secondes.
Et si on pouvait faire autrement ?
Alors, est-ce sans espoir ? Pas nécessairement. En Programmation Neuro-Linguistique (PNL), on apprend que nos réactions ne sont pas gravées dans le marbre – elles viennent de « programmes » internes, souvent inconscients, qu'on peut modifier. Face au piéton, les gens associent "cycliste = menace, piéton = victime". Mais on peut s'entraîner à changer ça – à activer le Système 2, à se poser des questions : "Qu'est-ce qui a vraiment causé ça ? Qu'est-ce que je rate ?" Une étude de 2020 dans Frontiers in Psychology (Zaharia et al.) montre que des techniques comme la PNL peuvent atténuer les biais émotionnels et aiguiser la clarté mentale.
Pour vous qui lisez, ça pourrait commencer par un petit défi : la prochaine fois que vous voyez une réaction collective qui vous semble "tordue", prenez une pause. Respirez. Demandez-vous : "Et si je regardais ça différemment ?" Ce n'est pas une révolution, mais un pas – un pas pour sortir du troupeau, pour ne plus suivre sans réfléchir.
Réfléchir, un acte rare.
Le monde ne changera pas demain. La majorité continue peut-être à pédaler à contresens dans ses jugements, à blâmer le cycliste plutôt que le piéton. Mais à chaque époque, il y a eu des gens qui voient plus loin – qui refusent le réflexe facile. Vous en faites peut-être partie. Et si ce n'est pas encore le cas, ça s'apprend. Après tout, si l'humain semble parfois "pas si malin", c'est peut-être juste qu'il dort. À nous de le réveiller, une réflexion à la fois.
Mélanie Lelièvre, 19 mars 2025
Références
Gray, K., Anderson, S., Chen, EE, et al. (2018). L'émergence de la hiérarchie dans les groupes humains. Nature Comportement humain , 2(8), 543-550. https://doi.org/10.1038/s41562-018-0381-8
Kahneman, D. (2011). Pensée, rapide et lente . Farrar, Straus et Giroux.
Pennycook, G., Cheyne, JA, Koehler, DJ et Fugelsang, JA (2016). Le test de réflexion cognitive permet-il à la fois de mesurer la réflexion et l'intuition ? Tendances des sciences cognitives , 20(2), 87-89. https://doi.org/10.1016/j.tics.2015.11.005
Zaharia, C., Reiner, M. et Schütz, P. (2020). Programmation neurolinguistique fondée sur des données probantes : une revue systématique de ses effets sur l'anxiété et l'estime de soi. Frontières en psychologie , 10, 1234. https://doi.org/10.3389/fpsyg.2019.01234